Traduccion deu tèxte
Un voyage à Royan
Moustey, le 17 septembre 1880
Mes chers compagnons de route,
Des six fringants touristes de Royan et de Soulac, me voici maintenant seul dans mon petit ermitage Comme un oiseau qui ne bat plus que d'une aile. Aussi me prend-il fantaisie de roucouler en cadence Quelques incidents de notre charmant mais périlleux voyage. Mon retour ici s'est effectué saupoudré de Deux ou trois ondées qui ressemblaient bigrement à de bonnes averses. Pour vous, mes quatre chères Tourterelles, en voyant le déluge d'eau qui vous claquemurait dans le presbytère de Vensac, vous avez dû Faire entendre à tous les échos d'alentour une voix bien plaintive !...
Mais ne t'attarde plus à la vile prose, ô mon aimable muse ! Prends ton flageolet, ton luth, et redis à mes Compagnons de voyage dans la langue des Dieux la partie fine de Royan. Et puisses-tu par tes chaleureux Accents inspirer au bel Arthur les plus vifs regrets de s'être volontairement privé d'un sac entier D'émotions dont le souvenir vivra à jamais dans nos six intrépides cœurs !
A Berthomieu le paysan,
Si le pauvre Pipiou
Est encore au moins vivant
Son ami Titiou !
Il vaudrait bien mieux passer par les mains du bourreau
Que de mettre les pieds jamais en ce Bordeaux !...
C'est ainsi, Berthomieu, que contre cette ville
Où l'on t'avait traité comme un franc imbécile,
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Tu vomissais ta bile avec juste raison !
Quoique portant béret, oh ! C'est dur nom de nom !
Aux badauds de servir d'objet de moquerie !
Tu ne méritais point une telle avanie !
Un homme comme toi n'est pas un Carnaval !
Et Bordeaux contre toi se conduisit fort mal !
De ce que tu n'avais point inventé la poudre
Et que de guerre hélas ! Tu n'étais pas un foudre,
Messieurs les bordelais eurent tort, mon garçon,
De te faire filer de si mauvais coton !...
Moi j'ai fait ces jours-ci par une mer horrible
Un voyage à Royan ! Dieu ! Que c'était terrible !
Quel courage il fallait, pour ne pas avoir peur !
Avec nous que j'aurais voulu te voir, farceur,
Qui te plains de Bordeaux ! Dans ta grande furie
Tu dis, pauvre Pipiou, que jamais de ta vie
On ne te verra plus dans Bordeaux promener !
C'est sur mer et non là que l'on court du danger !
Car une autre paire de sabots, une autre paire de manches,
Est de voyager sur la mer sur un amas de planches,
Que d'aller dans Bordeaux avec des écus dans la bourse,
Avec ton panetier en collier à ton cou,
Acheter robes, torchons, pendentifs pour ta fille,
Un tapecul pour toi ! Il ne faut que monnaie !
Ton voyage de Bordeaux est un amusement !
Et de l'âne que tu fais pour avoir un peu de son,
Quand tu viens te plaindre tant des tours de passe-passe
Qu’ils t'ont fait à Bordeaux ! Tout cela est cocasse !
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Mais autrement sérieux est mon voyage a Royan,
Je vais t’en faire le récit, Pipiou, écoute bien.
D'abord premièrement pour rendre clair mon conte
Je vais te détailler les noms du charmant monde
Qui voyageait avec moi. Le premier était Aubin,
Qui sans Arthur son fils, mettait trop d'eau au vin
Lequel c'est fait marchand pour gagner plus d’argent ;
Car il n'est pas du tout idiot le jeune, tu peux le croire !
Maintenant, Berthomieu, ne le juge pas mal
À cause de ce baptême, ou gare, Dieu me damne !
Car dans tout Arcachon il fait le beau temps, la pluie !
Et toi tu passerais pour une fameuse courge
Si tu parlais contre lui ! Pense donc, je te le dis
Tout comme l'ongle du doigt, du maire il est ami !...
Marinette, ma sœur, comme une Reine de France
Fière et majestueuse, était seconde en danse !...
Ma nièce Julia, belle comme son tonton,
Belle femme, ma foi, troisième était au violon !
L’institutrice Marie, a bonne et fine blague
Tout comme un avocat et dont le nez plaît
Faisait la quatrième !... La cinquième à l’enveloppe
Belle comme un miroir, douce comme un agneau,
Modeste comme un sou portait le nom d'Adèle
Et comme sa sœur Marie est institutrice modèle !...
Le sixième c’était moi, appelé par ma mère,
Marc-Antoine, Jan le mince, embûche ou Cuquepay ;
Les noms me furent donnés selon mon mérite ;
Et j’en ai reçu une belle marmite !
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Mais je suis baptisé Blaise, un beau nom s’il vous plaît ;
Et quand j’étais petit, que je fusse laid ou beau,
Comme les grands paps d’Esleys, j’avais veste, culotte
Et gilet en drap roux ! Je bisquais, saperlotte !
D’autant que mes habits avaient servi déjà
Pour mon frère ainé ! Jamais donc d’étrenne
Il n’en fallait pas parler. Le plus beau encore
Était mon bonnet rouge. Ah ! De cette coiffure
Je me souviendrai toujours ! Car les autres écoliers
Riaient de ma coiffure ! J’en bisquais !
Mais c'est assez parlé ! Sans plus de bavardage
Je vais te raconter mon périlleux voyage.
Je te l'ai dit, nous étions six pour cette excursion.
Nos petits sacs en mains nous partîmes donc d’Arcachon,
Tout guillerets, comme quand on va en une noce !
De rire sur le chemin nous nous fîmes une bosse.
Un autre bourg de Bordeaux. Et là, sans avoir peur,
Nous prenons tout d’abord le bateau à vapeur.
Nous avions acheté des babas et des biscuits à la crème ;
Nous pensions arriver comme « mars en Carême ».
En croquant les biscuits nous ne pensions pas à mal,
Nous guignons couler l’eau, regardions les nouveautés.
Mais je pensais tout de même alors à ta vigueur,
Quand autrefois tu piquas une tête dans la rivière,
Et quand avec un croc au plus profond de l’eau
Un homme te saisit par ton mignon tuyau.
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« Tirez ! Sans peur aucune ! répétais-tu sans cesse !
« Vous m’écorchez bien et me déchirez la fesse,
Et j’y sens hélas une vive douleur !
Mais tenez bien tout de même ! Vous serez mon sauveur ! ..
Le ciel ne permit point dans cette conjoncture
Que ton corps aux poissons puisse servir de pâture.
Tout droit sur le vaisseau, je riais de toi,
Et surtout de la déchirure de ton turlututu !
Cela m’aurait bien embêté de tomber à la rivière,
Faire comme toi le plongeon car je nage comme une pierre.
Sur le bateau à vapeur ils sont fort à leur aise,
On peut y manger, boire, en payant. Oh ! Bien dit !
Heureux celui qui prend soin de bien remplir sa panse,
Car il faut aussitôt après, passer par une danse
Embêtante ma foi ; car quand vous voyagez sur la mer,
Le tangage du bateau produit une triste affaire
Sur votre estomac ; sans avoir de colique
Vous êtes forcé de vomir. Aussi une grande barrique
Serait petite pour contenir tout le jus
Rouge, cannelle ou bleu qui sort de chaque museau.
Ce n’est pas beau de roter surtout pour une belle dame,
De faire de grands rots tout comme un bœuf qui brame !
Mais allez, Dieu me damne, garder dans l’estomac
Une telle ratatouille, et qui fait bataille.
Pressé par mon petit ventre je demande, saperlotte,
L’endroit où l’on peut baisser sa culotte ;
Car sur le bateau ce n’est pas comme au chemin de fer
Où l'on peut garder les ratafias dans le garde-manger.
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Je m’en vais donc à l’endroit où était la cuvette,
Je ne suis pas plutôt posté sur la lunette
Que de ce trou malpropre l’eau sautille en haut
Et gifle mon miroir. Mon pauvre champignon
En est tout noyé ! Je n’avais pas mal au ventre
Heureusement pour moi ; car ceux qui ont la courante
Sont à plaindre, ma foi, de devoir demeurer
Sur cette seringue ! Ah ! Trou dèri dèra !
Mon tour de France fait, je trouve Julia, Adèle
Pâles comme la mort ! Bientôt sur le siège
Sur le plancher du bateau, sans permission
Vomissent à qui mieux-mieux sans aucune façon !
Enfin de-ci, de-là, d’autres se mettent en danse !
Ah ! Fichu mal de mer ! Comme tu sais vider la panse !
Les dames, les messieurs font les mêmes rots !
Tous crient bientôt comme une troupe de corbeaux !
Déjà tout le plancher est couvert de friture ;
Les dames font tout rouge et les messieurs, garbure.
Cependant malgré tout une dame tenait bon
Et pour ne pas vomir croquait un beau citron
« Un citron, disait-elle, est le meilleur tonique
« Contre le mal de mer ! Vomissement, colique
« Pas danger, qu’on en ait, quand on en a mangé !
« Aussi je ne crains rien, je suis en sûreté !
« Royan me reverra, charmante, rose et fraîche
« Je pourrai me carrer dans ma belle calèche.
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« Mesdames, croyez-moi, mangez un beau citron,
« Contre le mal de mer vous tiendrez toujours bon ! »
Elle n’a pas plutôt finit sa belle plaidoirie
Que de son estomac toute l’artillerie
Du citron, du dîner, sort en train-express,
Et salit des voisins la figure et les pieds !
La pauvre malheureuse était toute confuse !
Tous de rire à qui mieux-mieux ! Mais aussi, saperlotte !
Pourquoi se vanter tant ! C’était trop de fatras !
Mais laissons cette dame avec son millas !
L’eau dans le bateau entrait comme une folle !
Chaises, dames, messieurs, faisaient la cabriole ;
Car les vagues venaient secouer le vaisseau
Tant et tant que je craignais tout le temps pour ma peau.
Bientôt les voyageurs de la seconde classe
Durent déguerpir, s’en aller prendre place
A l’autre bout du vaisseau ; Car à chaque moment
Les vagues de la mer, terrible amusement
Remplissaient le bateau ! Et comme une rivière
L’eau se promenait ! J’en eu la tremblère !
Car moi plus courageux que mes autres compagnons,
Qui s'étaient échappés comme de pauvres poltrons,
J’étais resté à ma première place !
J’en avais presque du regret, car toujours l’eau en masse
Entrait sur le bateau. Seulement pour ne pas
Du tout me faire mouiller ni les souliers, ni les bas,
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J’étais monté debout sur un grand siège
Pour ne pas chavirer de cette bascule
Je me tenais avec les mains à un petit piquet
Comme sur une balançoire j’étais là tout droit.
J’eu manqué vingt fois de perdre l’équilibre !
Pour ne pas chambarder ne fallait pas être ivre !
Car la mer secouait tellement le bateau
Que je craignais toujours qu’il s’engloutit dans l’eau !
Près de moi caquetait une certaine dame
Restée en cet endroit par pure bonté d’âme,
Car près d’elle, accroupi se trouvait un monsieur
Qui paraissait souffrir ! La dame avec douceur
S’enquérait de son mal, voulant y mettre un baume !
Mais celle-ci n’avait pas un mot de cet homme
Qui les mains sur son front, le corps tout accroupi
Les pieds nageant dans l’eau, presque de froid transi,
Faisait grand peine à voir ! Enfin le capitaine
Le voit dans cet état : il en a de la peine.
Mais Monsieur, lui dit-il, ne restez donc plus là,
Vous êtes tout trempé ! « Criez plus que cela !
Car il doit être sourd s’écrie alors la dame !
Voilà déjà longtemps que de lui je réclame
Qu’il sorte de ce lieu, mais cet original
Ne répond pas un mot à mon zèle amical ! »
« Madame, taisez-vous, avec votre parlotte
Dit alors le monsieur, vous n’êtes qu’une sotte !
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« Pour vous mon commandant, merci de votre soin,
« Mais d'ici croyez-bien je ne sortirai point ;
« Je vomirais d’abord si je changeais de place !
« Même si je parlais ! Laissez-moi donc, de grâce ! »
« Tant-pis pour vous, monsieur, lui dit le commandant »
Et la dame ajouta : « Laissons-là ce manant ! »
Tout cela, pensez bien, me donna le fou rire
Surtout quand la compagne partit toute en colère !
Depuis déjà longtemps Royan paraissait,
Nous guignions de la mer ses maisons, son clocher
La tour de Cordouan sus son roc solitaire,
Le petit casino, le port, l’embarcadère ;
Et chaque voyageur est émerveillé
Et croit que tout danger pour son voyage est passé.
Mais voilà qu'en pleine mer notre vaisseau s’arrête
Ne peut pas aller plus proche ! Ah ! Nous n’étions pas en fête !
Moitiés vifs, moitiés morts, il faut nous embarquer
Sur un étroit bateau bien fait pour chavirer !
Car pour se chambarder, et faire la pirouette
Il ne faudrait pas se balancer sur cette cuvette !
Je crois qu’il suffirait d’avoir le hoquet
Pour faire virer le petit cochon ! Ah le triste baquet !
Comme une coquille de noix sur les vagues dansait !
L’eau à fleur du bateau souvent dedans entrait,
Le besoin de vomir s’empara de Julia,
Qui avait des renvois à tout faire chavirer
Jalouse de Julia, sa belle tante Adèle
Fait la même musique et la même cannelle !
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Le pilote disait tout le temps : "Ne bougez pas,
Nom d'un chien ! Le bateau sans ça va couler bas !"
Par comble de malheur il y manquait une cheville !
Nous débarquâmes enfin de cette belle coquille !
Il n'était pas trop tôt, car je tenais à ma peau,
Et je n'étais pas sans peur sur ce foutriquet !...
Souper, nous promener, dormir la matinée,
Est peu intéressant ! Nous passons a la volée
Sur cela, sur aussi notre voyage à Pontaillac,
Nous retournâmes sur le vaisseau qui marche vers Soulac !
Ah bonne Mère de Dieu, sois toute bénite
De ta protection ! Car hélas ! il faut dire
Que nous avons courut ce jour un terrible danger !
Oh ! pauvre Berthomieu, que tu aurais crié
En voyant arriver ces vagues en furie
Qui nous faisaient danser sans en avoir envie !
Tout le monde avait peur de ces montagnes d'eau !
Aussi l'on vomissait !!! C'étaient de vrais ruisseaux !
Marie eut beau vouloir retenir sa mitraille
Rien n'y fit, hou, hou, hou ! Bifteck, sole, ripaille,
Tout partit à la fois sur Julia, sur ma sœur
Dont le châle reçut ce ragoût en primeur
A quatre pas de moi l'institutrice Adèle
Se purgeait tant et plus ! Tout proche une demoiselle,
Alice, dégobille ! comme Prunille sa maman
De l'avoir embarquée dans un tel ratafia !
Sa maman de crier : "Viens près de moi drôlesse,
Allons, dépêche-toi ! Mais à sa gentillesse
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Alice répond : Non, qu'elle veut vomir là !
Appelle sa maman ! Têtue ! Et cætera !
Presque tous sur le pont faisaient triste figure
Car presque tous faisaient la même confiture,
Et le même millas ! Partout autour de moi,
Quel brouhaha de cris ! Oh ! C'était beau ma foi,
D'entendre de tout bord ce bruit d'artillerie !..
Sans qu'on dit au voisin : " Gare à ma batterie !..
Et s'il vous arrivait de lancer ce ragoût
Sur l'un de vos voisins, il riait, voilà tout
Je n'eus point à vomir, mais tout de même je fis rire ;
Car une vague ayant secoué le navire,
Je fis un patatras, mais à peine tombé
L'on fut tout étonné de me trouver levé !
Je bisquai que la mer m'eut joué cette farce
Et j'aurai presque dit un certain mot en arce !
Enfin nous débarquons, et disons tous en chœur :
" Plutôt que revenir à Royan en vapeur,
Nous préférons avoir une bonne colique,
Aller jusqu'à Bordeaux à poil sur une bique,
Manger civet de chat au lieu de lapin,
Avec un couteau ne valant rien couper le plus grand pin
Du haut d'un peuplier descendre sans échelle
Gratter de la tête aux pieds pendant deux ans la gale,
Aux lèvres comme aux porcelets nous faire poser un beau clou
Ou nous faire arracher par Michel une molaire !
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Adieu, Roi des Rouians (sardines), que Dieu te patafiole
Avant de retourner à ton moulin faire tourner la meule !
Ne crois pas pour cela que nous t'en voulions à toi !
Avec un vrai plaisir les cinq nous t'avons vu !
Mais s'aplanisse la mer, les planchers des vaches
Nous vont bien sous les pieds ! Toutes ces barraques
De vaisseaux, de bateaux, nous font une peur de mort !
Nous qui aimons à chanter quand nous voyageons, nom d'un sort !
Les deux charmants pigeons qui avec nous autres voyagèrent
Et qui jamais d'un pas, jamais ne se quittèrent
Ont dû dans un coin s'en aller roucouler !
Oh ! Comme ils ont dû souffrir d'être avec tous oh eh !
La Dame aimait tant se tenir à la poupe
Du vaisseau à vapeur ! Et l'autre comme une soucoupe
Suit sa tasse, il était là ! Le pauvret était heureux
De regarder sa belle rose, d'en sentir les amours !...
Pauvre Jeannette,
Qui chantait si bien lalirette !
Pauvre Jeannette,
Qui chantait si bien !
Triste et seulette,
Tu ne dis plus rien lalirette !
Triste et seulette,
Tu ne dis plus rien !
Écris-moi, cher Royan, quand du Verdon chez toi,
La mer n'y sera plus, ou passe toi de moi !
Septembre 1880 Lestruhaut, marchand de fromage
P33 Suite du voyage
A Royan, au Verdon, tel fût notre voyage !
Puis nous vîmes Soulac et son joli rivage
Qui de mon Mimizan me faisait souvenir !
Nous visitâmes tous avec un vrai plaisir
Son église longtemps restée ensevelie
Sous une haute dune, où jamais de la vie
Personne n'aurait cru qu'un temple était caché,
D'autant que sur sa crête et partout à côté
Se dressait de grands pins ! Le conseil maritime
Résolut un beau jour d'élever sur la cime
De cette dune un phare. Et déjà le terrain
Était presque aplani, quand la pioche soudain
Rencontre un corps solide au lieu d'aride sable ;
Ce corps n'était rien moins qu'une église admirable !
Mais hélas ! Elle était à moitié pleine d'eau !
On y prie aujourd'hui le bon Dieu de nouveau !
Un spectacle pareil valait bien le voyage
D'Arcachon à Soulac et même davantage...
Adieu, Verdon, Soulac et Tour de Cordouan !
Car le chemin de fer va partir à l'instant,
Nous laissons à Vensac nos quatre tourterelles
Qui s'en vont becqueter les grappes les plus belles
Des raisins du verger d'un excellent curé
Tout heureux d'héberger ce bataillon rusé.
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A compter les raisins croqués cette semaine
Par ces gentils oiseaux, on y perdrait sa peine !
Et cela se comprend ; après le mal de mer
On ne peut que sentir un appétit d'enfer ;
Seulement les raisins firent encore l'office
D'un purgatif gratis ; tout fut donc bénéfice !
Mais pendant ce temps-là Ducos Aubin et moi
Nous roulions en wagon ; là toute notre foi
Fut mise à rude épreuve ! En effet un compère
Bavardait et mentait comme un apothicaire.
"Le chemin du Médoc nous dit-il en riant,
Est un chemin de fer qui va si lestement,
Que voyant du cresson, j'entrouvre la portière
Et sans faire un ni deux, me voilà jusqu'à terre ;
De ce légume aimé je cueille un gros paquet...
Or pendant ce temps-là le train toujours marchait...,
Mais ce monsieur est fou, disait-on à la ronde !
Au revoir cher monsieur me criait tout le monde !
Nous vous annoncerons à Bordeaux pour demain ;
Mais surtout n'allez pas manquer le premier train ;
Nous voulons avec vous manger votre salade,,,
Moi riant comme un fou de cette canonnade,
Dans trois ou quatre bonds je suis à mon wagon,
Et fier je montre à tous mon paquet de cresson !.."
Tout le monde riait de son tour de force.
Aussi la vérité reçut une autre entorse
De ce monsieur qui dit : "Au chemin de Cazaux
C'est bien plus fortement ! Mais ici le héros
Est un simple facteur monté sur des échasses !
Le train était parti dévorant les espaces !...
Mais l'échassier bientôt en route l'atteignit ;
Avec le chef de train à causer il se mit,
Depuis quelques instants ensemble la causette
Ils faisaient tous les deux : "Facteur que je suis bête,
Montez donc sur le train, lui dit le conducteur !
Oh non je suis pressé, lui répond le facteur,
Je suis sûr de gagner sur vous trois kilomètres !
Quand vous arriverez, j'aurais remis mes lettres ! "
Piqué de ce propos, vite le conducteur
Sans peur de dérailler lance à toute vapeur
Sa machine et son train. Il arrive à La Teste,
Où le malin facteur lui sourit, et d'un geste
Lui fait cinq pans de nez ! Et le mécanicien
Penaud comme un renard, ne sait lui dire rien !
Tel fut par à peu près le dernier épisode
Du voyage à Royan, dont je vous ai fait l'ode.
Lestruhaut dit Titiou, marchand de fromage.
L'auteur est l'abbé Blaise Marie Delest, fils de Jean Baptiste et donc frère d'André mon ancêtre. Il est né en 1827 à Pontenx et mort à Moustey en 1890. Je ne sais pas quand il s'y est installé, on peut supposer vers 1860. Son adresse est le presbytère de Moustey.
Philippe Delest - Paris - 2021